Quand la gastronomie française se met au sans alcool

Source AFP- Le Point (extrait)

Quand la gastronomie francaise se met au sans alcool

Etes-vous en plein « dry January », chargé de conduire, femme enceinte ou tout simplement curieux ? Après les pays anglo-saxons et scandinaves, la France multiplie à son tour les expériences gastronomiques non-alcoolisées, dignes des grands vins.

Du champagne rosé zéro alcool servi dans une boutique de lingerie de luxe à Paris, des cocktails « vierges » élaborés pour le lancement de restaurants et hôtels branchés… La tendance « nolo » des boissons sans alcool (« no ») ou avec peu d’alcool (« low ») gagne du terrain jusque dans les restaurants étoilés.

« C’est une tendance qui est en train de grossir en France après les pays anglo-saxons qui ont toujours un temps d’avance sur nous », dit à l’AFP Yann Daniel, mixologue du groupe Alchimiste, l’un des leaders du mouvement.

Cet automne, il a élaboré une gamme de cocktails légers en travaillant « épices, herbes, racines et thés » pour l’hôtel de la chaîne australienne Tribe à Paris.

Avec plus de 20 ans d’expérience au bar de palaces, il avoue avoir été « assez dubitatif » dans un premier temps, mais « on s’aperçoit qu’avec ces cocktails-là, les gens profitent plus, apprécient et recommandent ».

L’autre mixologue d’Alchimiste, Matthias Giroud, a publié en octobre le livre « No Low » (Gründ) avec 60 recettes de cocktails. Une démarche saluée dans la préface par le chef multiétoilé Pierre Gagnaire pour sa « véritable créativité sur des territoire vierges » qui permet de se faire plaisir « sans se priver d’un deuxième verre ».

Chez David Toutain, deux étoiles Michelin, on démarre le repas avec une boisson effervescente à base de bergamote et sarrasin. Le homard est servi avec une infusion aux bourgeons de sapin, le jus de pomme au vinaigre de fenouil accompagnera l’anguille, le nectar betterave-carotte le pigeon…

« Cela m’a pris des années pour mettre tout cela en place », raconte à l’AFP le chef qui propose depuis novembre des accords avec des boissons sans alcool aux côtés de ceux avec des vins.

« On va plus loin dans l’expérience », assure-t-il. « Un vigneron ne va pas faire un vin pour accompagner un plat, le sommelier le choisit par rapport à son palais. Ici c’est mon univers ».

Hélène Pietrini, directrice du classement gastronomique La Liste, confie à l’AFP « adorer » les accords sans alcool, « une façon de déguster venue de l’étranger » qui « change complètement le profil aromatique des plats et décuple les moyens de s’exprimer ».

Dans la haute gastronomie française, c’est la cheffe la plus étoilée du monde Anne-Sophie Pic et sa sommelière, l’Argentine Paz Levinson, qui furent pionnières du nolo.

« Quand j’étais enceinte, c’était angoissant d’aller au restaurant et rester à l’eau toute la soirée. Je voulais créer quelque chose d’exceptionnel » pour que tous les clients qui ne boivent pas d’alcool puissent profiter de leur « vie sociale », a raconté Paz Levinson à l’AFP.

« Aujourd’hui, cela talonne un peu, tout le monde s’y met », dit Anne-Sophie Pic. Dans son restaurant triplement étoilé à Valence, du café brésilien tiède infusé est servi dans un grand verre à vin pour accompagner un filet de chevreuil.

Face à « la frustration » de clients qui ne trouvent que des boissons non-alcoolisées venant de la grande distribution dans la carte des restaurants, le sommelier Benoît d’Onofrio a élaboré des accords sans alcool pour le restaurant éphémère de la cheffe Manon Fleury en s’inspirant des techniques des vignerons (macération, extraction d’arômes). « A écouter les retours, je suis conforté dans l’idée que le nolo a de beaux jours devant lui ».

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